Pour Claus TINTO
Il y avait alors, dans
toute réalité offerte
aux sens, quelque
chose de nocturne.
L’ombre paraissait
plus présente que le jour.
C’était elle qui
faisait signe. Les mots s’y
cherchaient, je crois, avant de se trouver.
Claude Louis-Combet , Ouverture du
Cri ,
Cadex Editions,1992, p.9
Comment
se rapprocher de la cabane en bois, en mousse
et laine de pierre où deux jeunes hommes ont rouvert violemment le cri universel, cherchant peut-être à réveiller tant soit peu, les sourds de
famille, les sourds du pouvoir… J’écris
sourds de famille comme on dit sourds de naissance. Une difficulté récurrente d’échange
humain d’égal à égal, dans l’entre-siens primordial, un abandon trop
précoce de patience et de bienveillance, aux temps fragiles de construction des
êtres, une lutte aveugle, avec risque vital contre le sens commun et l’indulgence
réciproque. Une atavique interdiction de dire les vérités qui sont pourtant le
ferment et l’antidote de tous les lâchages perpétrés par la mise monde elle aussi universelle. J’éprouve une immense
empathie à l’égard de ces deux là, parmi tous, enfants du siècle, « tombés
de haut », sans armure ni casque
intégral contre les mots qui entre-tuent, qui marquent et manquent aussi, cruellement…
Comment dire ? Comment ne pas dire ?...
Ne reste parfois, au final ou avant tout recommencement ..., seulement la
révolte, l'action jusqu’au-boutiste ultra- incarnée, la sacralisation ultime passant par la sublimation
hors-piste d’une explosion débondée de la douleur. Recherche amplifiée dans la
déflagration annoncée et assumée de la raison ordinaire. La poésie et la musique aux accents outrés, déjantés ont été ici confinées pour pouvoir être confiées à l’écoute attentive – un défi subtil que j’encourage et c’est moindre remerciement pour la leçon de
courage et de confiance donnée. Comment
ai-je pu pénétrer sans crainte dans ces quelques mètres cubes où deux frères s’entraînent
à apprivoiser le cri intégral avec des instruments qu’ils qualifient de sataniques ? Je l’ignore, cela m’étonne
encore, mais j’ai agi d’instinct, en rencontrant Lucas OTTIE le 16 Mars dernier
au Tremplin Poétique du Printemps, persuadée que la noirceur affichée, recouvre ici
et de fait, une lumière trop aveuglante pour la plupart des adultes amnésiques de leurs peurs les plus profondes.
Comment Faire Tremplin à l’insupporté, comment trouver Tendresse sous le Cri ?
La
traversée de la nuit dont a tant parlé Charles JULIET dans ses écrits, se décline avec plus ou moins
de drame et d’intensité dans toutes les générations successives où l’absence et la défection du lien verbal solidaire n’est pas le moindre écueil.
Lorsqu’ il s’agit de dépasser les seuils
de survie morale et physique, les rites
sociaux de passage aujourd’hui confus, la jeunesse qui crie, qui refuse de réfréner sa profonde déception sur la gouvernance actuelle du destin collectif de la planète, est une jeunesse vivante qui n’accepte pas les règles du
jeu et les idées reçues sur le « moyen de s’en sortir ». Loin de
l’exaltation, la jeunesse d’ici se noie dans le non sens, saturée par la matérialité redondante et inaccessible, fourvoyée dans les impasses de l’intégration sociale aux
règles sauvages et élitistes. Tous orphelins au milieu des décombres de la guerre des nerfs se rêvant rescapés...
Le jeune homme qui a mis au monde ce cri né de fratrie, est devenu,
il n’y a pas de hasard…« assistant
funéraire »… « croque-mort »
pour gagner sa propre vie. Son personnage public Claus TINTO, écrit pour comprendre pourquoi il écrit et joue de la musique de cette
façon apparemment brutale. Il aura besoin de temps pour élaguer ses mots au milieu du vacarme ambiant et dégager sa voix singulière
de la gangue des possibles.
Il offre son poème KIMAMILA au cœur d’une authenticité qui ne trompe pas et que j'aime. C’est à prendre ou à laisser. Une leçon de courage, au profit de ceux et celles
qui ont pu expérimenter que la transe
verbale et sonore lavent le corps entier de ses miasmes anciens et que c’est nettement
moins dangereux pour soi et pour autrui.
Le prix à payer du dépit et du répit reste donc abordable humainement. Avec ce
morceau de poésie sonore maintenant abouti, le lecteur ou la lectrice de
passage pourra raccorder deux versions d’un
même poème et choisir celle qui l’aidera le mieux à faire connaissance avec une
écriture en devenir .
C’est Cadeau-Couleur-Cri!
Avant d’être une
métaphore, la nuit
fut une sensation.
Celui qui écrit s’en souvient
encore dans la
confusion intime de ses
tissus charnels. Celui
qui use de nuit pour
essayer de dire le
fond de son expérience et
la suprême qualité de son amour – celui là
n’a pas oublié le
saisissement qui s’emparait
de son être, aux détours d’enfance,
lorsque le jour
déclinait et que l’ombre
s’effusait de toute part. C’était un autre monde
qui advenait – et peut-être
bien le seul véritable,
le fondement et comme
l’origine…
Claude Louis-Combet, Ouverture du Cri,
Cadex Editions,1992, p.13
MT Peyrin 20 Mai 2013 | 15h